FRANCOPRESSE – Depuis plusieurs années, des voix d’enseignants francophones immigrants s’élèvent à travers l’Ontario. Des cas de discriminations à l’embauche ou de processus complexes d’accès à l’Ordre des enseignantes et des enseignants ontariens font partie des difficultés majeures. Les postes réguliers leur seraient aussi moins accessibles, alors que le Canada entier connait une pénurie d’enseignants francophones.

Blaise Nguendo-Yongsi est le premier président de l’Association ontarienne des professionnels de l’éducation de la diversité (AOPED), née cet automne.

Pour lui, le défi principal des enseignants immigrants (ceux qui ne sont ni citoyens canadiens ni résidents permanents) concerne une possible discrimination à l’embauche. «Ça ne date pas d’hier, mais il peut y avoir dans certains conseils scolaires, un préjugé qui n’a pas lieu d’être. Par exemple, le fait que le français employé par les immigrants soit différent du français local au niveau de la formulation ou de la terminologie peut poser un problème lors du recrutement. Ce n’est pas la majorité des cas, mais ça existe», fait-il valoir.

Une observation appuyée par Claire Duchesne, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa et qui signe plusieurs articles sur les enseignants issus de l’immigration.

Selon elle, ces derniers se heurtent à «des conditions inconnues et complexes, posées par un système scolaire éloigné de celui qu’ils ont connu».

Ils ont beau avoir été formés dans leur pays et avoir de l’expérience dans l’enseignement pour la plupart, tous « doivent se familiariser avec les courants pédagogiques de la province avant de pouvoir enseigner », identifie Claire Duchesne.

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«Pas de structure d’accueil adaptée»

Anne Vinet-Roy, présidente de l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO), précise : «Pour le personnel enseignant formé à l’étranger, il peut exister une différence entre l’identité professionnelle du personnel enseignant dans le pays d’origine et l’identité professionnelle du personnel enseignant canadien.» «Plusieurs systèmes d’éducation ont une approche qui repose sur la transmission des connaissances et qui est centrée sur l’enseignante ou l’enseignant et sa matière. Au Canada, les approches constructivistes centrées sur l’élève sont prédominantes, ce qui exige de redéfinir les façons de faire», ajoute-t-elle.

La présidente de l’AEFO note également que «cette différence est accentuée en milieu minoritaire francophone, comme en Ontario par exemple, par le rôle de passeur culturel, qui s’ajoute aux responsabilités du personnel enseignant.»

Malgré l’existence du Programme ontarien d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant (PIPNPE), Anne Vinet-Roy juge qu’il «n’existe pratiquement pas de structure d’accueil adaptée pour le nouveau personnel enseignant qui est issu de l’immigration récente».

«Le programme ontarien d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant n’est généralement pas différencié en fonction des clientèles auxquelles il s’adresse. À l’heure actuelle, le programme PIPNPE ne tient pas compte du contexte interculturel», déplore la présidente de l’AEFO.

Si l’Association affirme ne pas ne compiler de données sur l’origine spécifique de ses quelque 11 000 membres, elle a réalisé en 2018 un sondage qui a d’ailleurs semé la controverse parmi les enseignants. Des 1186 répondants, environ le tiers ont affirmé être nés à l’étranger ou issus de l’immigration.

Des pratiques qui varient

La professeure Claire Duchesne note : «Les parents peuvent voir des pratiques d’enseignement de la part d’enseignants immigrants qu’il est rare de voir ici et se plaindre aux conseils scolaires. C’est à partir de là que ça pourrait se corser.» Elle prend l’exemple d’un enseignant français qui avait mis un élève au coin de la classe pour le punir d’un mauvais comportement, une pédagogie qui n’est pas enseignée en Ontario ou au Canada.

Elle se souvient aussi de cet enseignant immigrant en stage qui assistait au cours d’un professeur. Ce dernier faisait la lecture à haute voix à des enfants de première année assis par terre. Il s’était étonné : «Pourquoi n’avez-vous pas de pupitres pour que les enfants s’assoient? Le Canada est pourtant un pays riche!»

Selon Claire Duchesne, «ce genre de petites choses pourraient influer sur l’embauche».

La professeure nuance : «Nous parlons ici de quelques cas. Il ne faut pas en tirer une généralité pour autant, car de nombreux conseils scolaires portent une attention particulière lors de l’embauche pour éviter la discrimination».

Le président de l’AOPED, Blaise Nguendo-Yongsi, approuve : «Ces pratiquent varient vraiment selon les conseils scolaires. Il faut aussi noter que ce sont des situations de non-dits, en général.»

Une intégration complexe à l’OEEO

Une autre difficulté pour les enseignants arrivés de l’étranger en Ontario est l’inscription à l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (OEEO) qui peut s’avérer longue et complexe.

En effet, l’Ordre exige des nouveaux arrivants qu’ils fournissent les originaux de leurs relevés de notes et de leurs diplômes d’enseignants. Une formalité de base qui peut devenir une épreuve selon les pays de provenance.

«Ils demandent à la plupart des immigrants des documents qui ne sont pas faciles à obtenir, remarque Blaise Nguendo-Yongsi. Ils se fondent sur les critères canadiens. Ici, il y a des registres, les documents scolaires sont tenus. Mais ce n’est pas le cas de plusieurs pays. Et ça, ils n’en tiennent pas compte».

Toutefois, sur son site Web, l’Ordre souligne pourtant qu’il peut apporter une aide aux enseignants qui ont de la difficulté «à amener un établissement à nous envoyer les documents directement».

On peut aussi lire : «Nous reconnaissons que dans certains pays, il n’y a aucune autorité centrale chargée de régir la profession enseignante. Dans ce cas, nous acceptons d’autres documents.»

Mais il semblerait que la réalité soit toute autre pour certains enseignants, qui éprouvent malgré tout des difficultés à intégrer l’Ordre.

Le président de l’AOPED témoigne : «Je me souviens d’un enseignant guinéen, il y a quelques années. Lors de ses études dans son pays, il y a eu des manifestations à caractère social. Les universités ont brulé, et avec elles, les relevés de notes. Cet homme n’a pas pu intégrer le métier d’enseignant ici, alors qu’il était formé.» Selon lui, ce n’est pas un cas isolé.

Un accès plus difficile à l’emploi

Pour ceux qui arrivent à franchir l’étape obligatoire de certification de l’OEEO, le parcours pour décrocher un poste dans le métier n’est pas achevé pour autant. En 2019, l’OEEO analysait (p.45 à 47) dans son enquête annuelle intitulée Transition à l’enseignement que «le taux de chômage au cours de la première année suivant l’obtention de l’autorisation d’enseigner est au moins cinq fois plus élevé pour les enseignants nouvellement arrivés au Canada que pour tout autre groupe d’enseignants nouvellement certifiés».

Si ce rapport affirme que l’amélioration du marché du travail a fait chuter le taux de chômage des enseignants immigrants lors de leur première année d’enseignement de 61 % en 2016 à 35 % en 2018, les résultats de 2019 signalent une légère remontée à 40 %.

Le taux de chômage s’élevait à 14 % pour ceux qui ont suivi leur formation en français ailleurs qu’au Canada, sur la base d’un chômeur sur sept répondants dans cette catégorie. Le sondage ne précise pas si les sept répondants ayant achevé leur formation en français étaient employés à des postes réguliers.

À noter également qu’au total, pour la première année d’enseignement, l’OEEO souligne que 68 enseignants nouvellement arrivés en Ontario, admis à l’Ordre depuis un an et résidents de la province, ont participé à ce sondage en 2019.

Il s’agit d’une fraction des 425 nouveaux membres admis à l’Ordre depuis un an et ayant obtenu leur autorisation d’enseigner initiale ailleurs qu’aux États-Unis et au Canada, anglophones et francophones compris.

Le rapport indique aussi que, «parmi le groupe d’enseignants nouvellement arrivés au Canada en première année de carrière en Ontario, seulement 40 % déclarent jouir du plein emploi, soit le même taux qu’en 2018, qui est mieux que les 21 % de 2016, mais bien en dessous de tous les autres groupes d’enseignants nouvellement certifiés en 2019».

Si l’on compare avec leurs pairs diplômés d’une université ontarienne financée publiquement ou avec les Ontariens formés à l’étranger avec les diplômés d’un collège frontalier américain, tous jouissent de 73 à 83 % de plein emploi. 8BwO5PJg.jpgkSq9cYXQ.jpg